Hôtellerie : Marriott est il le boulet de Starwood ?

Avec le rachat de Starwood et la constitution du premier groupe hôtelier mondial, Marriott affichait des ambitions élevées. Mais pour l’instant la mécanique semble un peu grippée et les clients commencent à se plaindre écornant la réputation de la marque. Chronique d’un mariage un peu bâclé.

Marriott Starwood, un mariage en plusieurs étapes

Paris ne s’est pas fait en un jour et il a fallu un peu de temps pour que les choses se mettent en place.

C’est en 2015 que la fusion a en effet été annoncée mais les deux groupes ont continué à vivre leur vie chacun de leur côté, et surtout avec des programmes de fidélité distincts jusqu’à l’été 2018 où les programmes de fidélité ont enfin fusionné, les points cumulés pour ceux qui utilisaient les 2 mais tout en gardant deux identités distinctes. A côté de cela le logo Marriott commençait à rapidement devenir visible dans les hôtels du groupe Starwood.

Mais cela sentait un peu le bricolage : dès le 1er jour, sans surprise, on a connu des ratés informatiques, on avait l’impression d’avoir un bout de feu SPG l’ancien programme Starwood) et un petit bout de Marriott Rewards. Bref une mécanique commune, deux brandings distincts et côté web un truc fait de bric et de broc avec une expérience pas optimale.

C’est en 2019 que tout s’est réglé et qu’on en a eu fini avec l’héritage du passé : un programme tout neuf, un nouveau nom unique et l’informatique qui va avec. Bienvenue chez Marriott Bonvoy.

Les clients n’ont pas manqué de s’amuser d’un nom venu de nulle part et à la limite du ridicule mais si ça avait été le seul bug je pense que le CEO de Marriott aurait signé de suite maintenant qu’on connait la suite.

Avec Starwood Marriott a racheté plus que des hôtels

Pour être honnêtes plus qu’une fusion cela ressemble à un rachat qui ne dit pas son nom, un peu comme pour Air France et KLM. Oui bien sur Marriott a acheté un joli portefeuille de marques très premium et a ajouté un nombre conséquent de propriétés et de marques à son inventaire…

Les 10 plus grands groupes hôteliers en 2018

…mais Marriott s’est aussi acheté un programme de fidélité, un style et le savoir faire qui va avec.

A l’époque SPG (Starwood Prefered Guest) était de notre point de vue le meilleur programme de fidélité du marché et ceci pour plusieurs raisons.

1°) Des seuils pas inatteignables pour acquérir des statuts premium

2°) Des bénéfices de très bon niveau.

3°) Et surtout une exécution sans faille.

J’insiste sur l’exécution : on peut promettre la lune sur le papier si la promesse n’est pas tenue dans les hôtels on crée de la déception. Et SPG était impeccablement exécuté par les hôteliers des marques propriétés de Starwood. Pourquoi ?

1°) Starwood avait dans son ADN une orientation client supérieure à tous les autres groupes hôteliers. Certains ont une culture financière, d’autres une culture du remplissage, chez Starwood c’était le client qui drivait tout. Certains hôteliers vous diront que le programme de fidélité leur coûte de l’argent lorsqu’ils doivent en délivrer les bénéfices aux clients et y vont à reculons, voire en oubliant des choses. Chez Starwood chaque hôtelier savait que lorsqu’un hôtelier tenait la promesse et faisait vivre une expérience de qualité au client c’étaient tous les hôtels du groupe qui en bénéficiaient car se créait ainsi une clientèle fidélisée et captive.

2°) La formation : si les salariés ne savent pas délivrer les bénéficies, s’ils es ignorent, s’ils ne savent pas retranscrire l’ADN du programme dans leurs attitudes et leurs décisions, votre programme va dans le mur. Et Starwood était exemplaire sur la formation délivrée aux salariés des hôtels pour que la partition SPG soit jouée à la perfection

4°) Des marques expérientielles. Ajoutez à un bon programme bien exécuté des marques plutôt lifestyle et expérientielles et vous aviez des clients heureux qui étaient les premiers ambassadeurs de SPG.

Côté client les signes d’appropriation étaient visibles : personne ne disait Starwood mais SPG. Quand votre programme de fidélité devient plus fort que votre marque vous avez gagné. On peut aussi parler du hashtag #spglife qui fleurissait sur twitter ou instagram et montrait à quel point les clients identifiaient SPG à plus qu’un programme de fidélité ou à des hôtels mais à un mode de vie !

Au delà des hôtels c’est SPG, cette culture et ce savoir faire que Marriott a racheté. Et d’ailleurs Marriott Bonvoy est quasiment un copié-collé de SPG avec un faible héritage de Marriott Rewards. Et c’est peut être ce qui pose problème aujourd’hui.

Couacs en série pour Marriott Bonvoy

Forcément quand on lance une marque il y a toujours des trucs qui ne sont pas secs…à commencer par l’IT. On peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il y ait quelques couacs et on les a eu.

Erreurs dans les calculs des points, dans les statuts, séjours non crédités tout y est passé. Sachant que Marriott était déjà sous le feu des projecteurs en raison d’une faille de son système d’information qui a laissé les données personnelles de 500 millions de clients dans la nature, il aurait mieux valu sortir un produit mieux fini.

Mais ça n’est pas tout. Le « nouveau programme » de fidélité était très inégalement exécuté.

Plusieurs raisons à cela.

Tout d’abord les hôteliers des anciens hôtels Marriott ont vu d’un mauvais œil de devoir donner des bénéfices supplémentaires aux clients, alignés sur feu SPG. Ca c’est l’effet de la différence entre une culture financière et une culture du client. On parle notamment, mais pas seulement, des surclassements en suite. Marriott a promis d’être sévère avec hôteliers qui ne joueraient pas le jeu mais les faits sont là.

De la même manière le programme ne tolère pas les « back-out dates » (périodes où les hôtels peuvent refuser qu’on paie sa chambre avec les points. Mais en dépit de la « no-black out dates policy » du groupe certains hôtels continuent de ne pas en tenir compte. Et plutôt que mettre les hôtels au pas, le groupe a changé sa position sur le sujet et cela vaut son pesant de cacahuètes.

The Company has a “No Blackout Dates” policy, which means that, subject to the limitations and exclusions below, Participating Properties have standard rooms available every day for Award Redemptions.

These limitations and exclusions are:  

i. Participating Properties from the following Brands may cap the number of standard rooms available for redemption on a limited number of days: The Ritz-Carlton®, EDITION®, JW Marriott®, Marriott Hotels®, Delta Hotels®, Autograph Collection® Hotels, Renaissance® Hotels, Gaylord Hotels®, Courtyard®, SpringHill Suites®, Protea Hotels®, Fairfield by Marriott®, AC Hotels®, Moxy® Hotels, Residence Inn®, TownePlace Suites®.

ii. The following Participating Brands allow only for Points/Miles earnings and do not offer Points redemption: Marriott Executive Apartments® and ExecuStay®.

iii. The following Participating Properties or Brands either do not participate in or do not fully participate in the No Blackout Dates benefit at this time:

  • Boscolo Exedra Nice, Autograph Collection
  • The Dedica Anthology, Autograph Collection
  • JW Marriott Scottsdale Camelback Inn® Resort & Spa, Scottsdale, AZ
  • Marriott Vacation Club and Marriott Grand Residence Club – all properties
  • Participating Vistana properties
  • Rome Marriott Grand Hotel Flora, Rome, Italy
  • Waikoloa Beach Marriott Resort & Spa, Hawaii
  • Wailea Beach Resort – Marriott – Maui, Hawaii

En fait la « no back-out dates policy » s’applique à tous les hôtels….sauf aux anciens Marriott qui font ce qui leur plait.

Ensuite vient un problème de formation des hôteliers et du personnel qui ne comprend pas encore le programme et ce qui est obligatoirement dû au client.

Ensuite vient le service client tout aussi mal formé et cela alors qu’on parle de près de 110 millions de plaintes reçues depuis mars 2018 ! Non seulement mal formé mais en plus pas aidé du tout par sa hiérarchie dans la résolution des problèmes. Le client souffre, reçoit des réponses inappropriées, se plaint mais en plus même le personnel du service client commence à se plaindre de sa propre situation.

Ajoutez à cela des clients qui se plaignent du fait qu’ils considèrent que le programme ou leur statut a été « dévalué » par rapport à avant cela commence à faire beaucoup.

De #Spglife à #Bonvoyed en un an : quand la réputation d’une marque en prend un coup

Je vous parlais de #spglife et de l’amour manifesté par les anciens clients Starwood à leur programme de fidélité et à son ADN. Ca c’était avant.

Il y a quelques semaines des clients activites ont lancé le hastag #bonvoyed et le site Bonvoyed.com. Désormais se faire « Bonvoyer » est synonyme de se faire avoir ! Je vous laisse aller y lire quelques pépites ainsi qu’un best of ici. On lit des choses succulentes en les suivant sur Twitter.

En terme de dégâts faits à une marque, passer de Spglife à Bonvoyed en un an je n’appelle plus cela une crise mais un accident industriel majeur.

Mais la direction tout en prenant acte de la situation dit qu’il ne s’agit que de « bruits à la marge ».

Autre anecdote qui a mon sens traduit un vrai manque de professionnalisme. Le compte Twitter @spgassist qui faisait office de service client n’avait bien sur plus de raison d’être avec ce nom mais au lieu de le conserver pour occuper le terrain et renvoyer vers le nouveau compte officiel, Marriott l’a laissé « dans la nature ». Il a bien sûr été récupéré par un blagueur qui a dit que le compte avait été « Bonvoyed ». Depuis le compte a été suspendu.

Le client en demande-t-il trop à Marriott ?

Tout ce remue ménage est-il justifié ? Est-il mérité ?

Pour avoir passé un certain nombre de nuits chez Marriott cette année on vous répondra oui et non.

Oui parce que ces plaintes ne tombent pas du ciel. Oui parce que l’un d’entre nous a eu une expérience détestable récemment dans un hôtel qu’on avait pourtant adoré lors d’un précédent voyage (accident ou changement de politique….on ne le saura qu’en y retournant et c’est pas près d’arriver)

Non parce que cela reste circonscrit. Bizarrement seuls les anciens Marriott semblent être concernés, les anciens Starwood continuant à faire du Starwood. Mais pour combien de temps encore sachant que le propre de la médiocrité c’est de se propager plus vite que l’excellence. Non également parce que globalement les problèmes remontent du marché US qui a toujours été le plus radin sur l’application des programmes (mais ça fait un nombre conséquent d’hôtels tout de même).

Non enfin et surtout parce que c’est peut être les clients qui se trompent sur la nature de la promesse. Ils ont eu du Starwood en termes de service et d’ADN et s’attendent à avoir du Starwood encore aujourd’hui. Sauf qu’ils sont chez Marriott et qu’ils ont du Marriott. Comme on peut le lire sur certains forums et blogs spécialisés, « Le service client Marriott a a toujours été nul et il le reste, vous ne pensiez pas qu’ils allaient se mettre au niveau de SPG en une nuit ! ».

Autopsie d’un échec : on n’achète pas une culture

Marriott voulait acheter plus que des hôtels, disai-je : un programme de fidélité, des clients engagés, un ADN, en somme une culture ! Et la leçon de l’histoire c’est qu’ils ont effectivement eu ce qui était achetable. Mais on n’achète pas une culture et celle-ci est restée dans les anciennes propriétés Starwood sans se diffuser dans le groupe.

Surprenant ? Pas du tout. Il en va ainsi dans toutes les fusions/acquisitions dans toutes les entreprises. Il faudra du temps pour que les choses changent. Mais elles ne changeront pas par hasard. En changeant sa no black-out policy pour accomoder ses hôteliers Marriott n’envoie pas un bon message au client. C’est bien de dire qu’on sera intraitable avec les hôtels qui ne surclassent pas en suite (et je sais de source sûre que le groupe pousse à une « no empty suite policy »….on ne veut pas de suites vides alors upgradez les clients et faites leur plaisir….) mais l’avenir dira si ça n’est que des mots ou si les hôteliers qui ne jouent pas le jeu se font taper sur les doigts.

Le risque ? C’est que si Marriott ne se Starwoodise pas ce soient les anciens Starwood qui se Marriottisent. Et là Marriott aura payé pour plus que des hôtels et n’aura au final eu rien d’autre que des hôtels.

En tout cas c’est définitivement plus que du « bruit à la marge ».

Photo : Marriott Bonvoy De Pavel Kapysh via Shutterstock.

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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