Un bistro vous manque et tout est dépeuplé

Voyager à travers le monde nous permet de découvrir de nouvelles cuisines, des cultures qui n’ont rien à voir avec la notre, des lieux inattendus. Des petites échoppes de street food à Bangkok aux restaurants étoilés de New York, nous avons la chance de manger dans des endroits de tous les styles et à tous les budgets. Mais, malgré cette diversité incroyable, il y a une chose qui me manque chaque fois que je voyage. Je peux tester les restaurants les plus typiques et simple comme des étoilés renommés ça n’est pas une question de qualité, de finesse, de sophistication mais plutôt quelque chose qui a trait à l’ambiance et qui relève quasiment du culturel : le bistro à la française.

Une brève histoire du bistro à la française

Le concept du bistro français remonte au XIXᵉ siècle, époque où les petits établissements parisiens ont commencé à servir des plats simples et abordables dans une ambiance conviviale et décontractée. Le bistro est devenu rapidement un élément fondamental de la culture gastronomique française, offrant un espace pour se restaurer, discuter et socialiser.

Le terme « bistro » viendrait du mot russe « быстро » (bystro), signifiant « vite ». Une légende raconte que des soldats russes en garnison à Paris pendant la guerre franco-russe de 1814 demandaient à être servis rapidement, donnant naissance au terme. Cependant, cette origine reste incertaine.

D’ailleurs une autre version plus logique nous vient d’Alain Fontaine, Restaurateur et président de l’Association pour la reconnaissance de l’art de vivre dans les bistrots et cafés de France en tant que patrimoine culturel immatériel : il vient du vieux français « bistrouillet » qui signifie « de peu de choses ».

Les bistros se sont développés avec l’urbanisation de Paris au XIXᵉ siècle, répondant aux besoins de la classe ouvrière et des employés de bureau qui cherchaient des repas simples et rapides. Ils sont devenus des lieux de rencontre essentiels, notamment pour les intellectuels et les artistes parisiens du début du XXᵉ siècle, comme les écrivains et les peintres qui se retrouvaient dans des bistros comme La Rotonde ou Le Procope.

Une ambiance unique

Quand, à l’étranger, je repense aux bistros français, je revois immédiatement cette ambiance si particulière. Ce n’est pas un restaurant de luxe, mais un endroit simple où l’on se sent chez soi. Le bistro, c’est avant tout un zinc, ce comptoir en étain usé par le temps, où des générations de clients se sont accoudés pour partager un verre de vin ou un café serré. Ce n’est pas qu’un bar ou un restaurant ; c’est un lieu de vie, où les gens passent pour discuter, échanger, et même philosopher, le tout sans prétention. Loin des formules standardisées, le bistro français respire l’authenticité.

Et j’ose même jusqu’à aller dire qu‘il s’agit de l’ancêtre des réseaux sociaux : on y fait connaissance, on y socialise puis sympathise, on échange, on apprend les uns des autres.

Après tout n’est-ce pas Sam Palmisano, à l’époque PDG d’IBM qui s’adressant aux étudiants d’une grande école française à l’époque de l’explosion des réseaux sociaux en ligne, disait

«  Et vous, allez faire du réseau social, non pas en ligne mais dans des bars.« 

Le bistro représente donc bien plus que la cuisine. Certes, le steak-frites et la blanquette de veau sont iconiques, mais c’est la convivialité qui rend ces plats mémorables. Le serveur bavard et toujours prêt à plaisanter, les habitués, la carte écrite à la craie sur une ardoise, la nappe à carreaux, tous ces marqueurs qui se combinent pour créer une ambiance chaleureuse que je n’ai jamais vraiment retrouvée ailleurs.

Une ambiance qu’on ne retrouve nulle part ailleurs

L’Osteria à l’italienne est peut être ce qui s’en rapproche le plus. Mais elle valorise une cuisine régionale de terroir là où le bistro français à une vocation plus universaliste au regard de la gastronomie française.

Le bar à tapas espagnol : on y partage de petites bouchées au lieu de s’installer devant un plat. On y reste moins longtemps aussi, on est plus dans la logique de grignotage que dans celle d’un repas.

Le Biergarten allemand, cultive la culture de la bière là où le bistro valorise davantage le vin et est un établissement d’extérieur. On peut alors faire référence aux Bierstubs alsaciens et leur cousin le winstub qui remet le vin au centre du village qui s’approchent le plus du bistro. Mais eux font honneur à l’excellente cuisine alsacienne et de plus il leur manque le traditionnel zinc sans lequel un bistro ne sera jamais un bistro.

Le diner américain alors ? Ca n’est pas un endroit où on reste, où on s’attarde et l’objectif est de faire tourner la clientèle au maximum, pas de la laisser avoir une interminable discussion autour d’un verre. Le service est impersonnel et il manque le zinc. Et il n’a ni personnalité ni ancrage culturel fort. Il y a une culture bistro, il n’y a pas de culture diner.

Toujours aux États-Unis il y a de vrais bistros qui ont pris tous les codes du bistro français : logique, ils ont été créé soit par des français soit par des américains qui ont compris que le coté « frenchie » du concept ne pouvait que faire mouche. Tous les codes sauf un : le service ! Je ne reviendrai pas sur le fait de le service aux Etats-Unis est de plus en plus mauvais d’année en année a tel point qu’on y attend des profondeurs abyssales mais qui dit français là bas dit un certain style, un art de vivre, associé à quelque chose de luxueux. Cela donne un service totalement surjoué où simplicité et convivialité ont disparu, où le serveur se croit dans un restaurant gastronomique ou il ne faut même pas penser à venir à l’improviste sans réservation pour prendre une bière, un verre de vin ou un oeuf mayonnaise au comptoir.

Quand on mélange l’esprit bistro avec le service d’un restaurant branché on obtient Frankenstein gastronomique sans personnalité, où l’essence même du concept s’est perdue.

Et de toute manière il y a un rapport au vin et à l’apéritif dans le bistro français qui n’est pas aussi présent dans les établissements similaires à l’étranger, où la boisson peut être moins centrale à l’expérience culinaire.

Je peux prendre la question dans tous les sens; le bistro français se distingue par sa cuisine traditionnelle, son ambiance intime, son lien avec la culture et l’histoire française, et son rapport au vin et à l’art de vivre. Un modèle, souvent imité copié, jamais égalé, qui reste unique grâce à son ancrage dans le patrimoine et la société française.

Le luxe de la simplicité

C’est en fait cette simplicité qui me manque le plus. Le bistro, c’est un lieu où l’on peut se poser sans chichis, commander un plat généreux et se sentir libre de prendre son temps. Alors que la restauration va souvent vers de plus en plus de sophistication le bistro me rappelle que le plaisir réside souvent dans les choses les plus simples.

À l’étranger, comme je le disais, j’ai souvent trouvé des établissements qui tentent de recréer l’esprit du bistro français, mais il manque toujours quelque chose. Parfois, c’est l’accueil qui est trop formel, ou le décor qui fait trop « carte postale », d’autres fois, les prix s’envolent alors que l’esprit du bistro, c’est aussi d’être abordable pour tous. On en parlait l’autre jour avec des amis et sommes tombés d’accord pour dire que si on transpose un bon bistro parisien où l’on peut manger de vrais plats faits maison pour 15 euros à midi ou faire un menu entrée plat dessert avec apéritif vin et café pour moins de 50 euros à New York la note passera sans aucun doute à 100 euros hors taxe et hors service.

Cette simplicité que certains jugent désuète en France est finalement un luxe précieux même s’il vaut parfois que je sois à l’étranger pour m’en rendre compte.

Un bistrot vous manque…

Le bistro n’est pas seulement un restaurant, mais un pilier de notre culture. Chaque culture a son propre équivalent du bistro, que ce soit l’osteria en Italie ou le bar à tapas en Espagne mais pour moi rien n’est tout à fait comme le bistro français, où la cuisine, l’atmosphère et les rencontres donnent un résultat assez unique. Et il ne fait aucun doute, d’ailleurs, qu’Italiens et Espagnols disent la même chose des établissements emblématiques de leur culture.

Bref il n’est pas pas inhabituel lorsque j’ai été absent de France pendant plusieurs semaines de filer manger dans mon bistro favori dès que je quitte l’aéroport, des fois avant même de rentrer déposer mes valises chez moi.

Un long billet un peu empreint de nostalgie car il m’a été inspiré par la découverte de certains chiffres : savez vous que le bistrot français est une espèce en voie de disparition ? Ils étaient 500 000 en 1900, 400 000 après la seconde guerre mondiale, et moins de 40 000 en 2024.

Et pour vous que représente le bistro ? Est-il un symbole à préserver, une institution à réinventer ou un vestige d’une autre époque vouée à disparaitre ?

Image : bistro parisien de Catarina Belova via Shutterstock.

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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