L’incident survenu sur le vol Singpore Airlines 321 la semaine dernière fait la une des médias depuis une semaine et chez TravelGuys nous n’aimons pas trop surfer sur des événements aussi dramatiques pour faire de l’audience.
Nous n’avons pas été surpris que de nombreux médias, eux ne s’en privent pas. Mais il y a une différence entre le devoir d’informer et le fait de faire du sensationnalisme, surtout en racontant des contre vérités ou présentant des chiffres de manière erronée et hors contexte.
C’est à force d’entendre des proches nous parler de cet évènement impressionnés voire choqués par ce qu’ils ont entendu dans les médias que nous avons décidé de préciser un certain nombre de choses.
C’est bien entendu un article de vulgarisation et nous ne nous prétendons pas experts des phénomènes aéronautiques et si des pilotes ou autres spécialistes veulent apporter leur écot au sujet les commentaires leur sont bien sur ouverts.
L’incident du vol SQ321
Nous parlons donc du vol SQ321 qui effectuait la liaison entre Londres et Singapour le 20 mai dernier. L’appareil, un Boeing 777-300ER a rencontré de sévères turbulences au dessus de la Birmanie, turbulences qui ont entrainé des blessures pour une trentaine de passagers et le décès d’un autre passager, probablement d’une crise cardiaque.
L’appareil a été dérouté sur Bangkok où les blessés ont été pris en charge.
Quelques mots sur les turbulences
Puisque les turbulences sont au coeur des conversations autant effectuer quelques rappels sur le sujet mais pour approfondir le sujet nous vous renvoyons à la lecture de l’article que nous avons déjà publié sur les turbulences.
On les appelle également, à tord, trous d’air mais un trou d’air ça n’existe pas plus qu’un trou d’eau dans une piscine à vagues : ce sont simplement des flux d’air qui entrainent l’avion vers le haut ou le bas.
Il y a 3 grands types de turbulences et celles qui nous intéressent ici sont les turbulences en ciel clair, appelées ainsi car elles sont indétectables contrairement par exemple à celles causées par la météo qui, elles, peuvent se voir au radar. Elles se produisent lorsque des vents se déplaçants à des vitesses différentes se rencontrent et forment des tourbillons.
[Note : les informations se précisent peu à peu et il semble en fait que les turbulences aient été causées la traversée d’un cumulonimbus]
C’est ce type de turbulences qu’a rencontré le vol SQ321.
Les turbulences sont très désagréables pour les passagers et c’est pour cela que les pilotes les évitent autant que possible. Quant à leur dangerosité il y a a deux manières de voir les choses.
La première, qui devrait vous rassurer, est qu’elles ne sont pas du tout dangereuses pour l’appareil. Ils sont conçus pour encaisser des énormes turbulences et c’est la raison de l’extrême flexibilité de leurs ailes.
Il n’y a jamais eu aucun crash d’avion à cause de turbulences. En fait il y en a deux que nous expliquons dans notre article sur les turbulences mais ils leur sont attribués à tort : ce sont des erreurs de pilotage qui ont conduit à une issue fatale, pas les turbulences en elles-même.
Par contre si l’avion résiste très bien aux turbulences ça n’est pas le cas de son contenu, à savoir les passagers. Un mouvement de quelques centimètres vers le haut ou vers le bas de l’appareil peut projeter un passager à l’air. Un peu comme si vous passez un dos d’âne en voiture et décollez un peu de votre siège. Et bien les turbulences c’est des dos d’ânes qu’on prend à 950km/h…quelques centimètres de hauteur pour la voiture mais beaucoup plus pour le passager.
Ce sympathique steward l’explique très bien d’une autre manière dans cette vidéo.
Voilà la raison pour laquelle on vous demande de toujours garder votre ceinture attachée en vol, même en l’absence de turbulences car lorsqu’elles surviennent vous n’aurez surement pas le temps vous attacher et c’est certainement ce qui est arrivé aux blessés du SQ321. Et c’est certainement la leçon la plus importante à retenir de cet incident : ne détachez jamais, mais vraiment jamais votre ceinture.
Et si vous avez été impressionnés par les dégâts dans la cabine de l’appareil, notamment au niveau des coffres à bagages, sachez qu’elles sont pas dues aux turbulences mais aux passagers non attachés qui ont été les percuter.
Un dernier détail : en cas de turbulences sévères votre ordinateur portable, votre iPad ou votre téléphone posés devant vous peuvent devenir de vrais projectiles : pensez à les ranger dans la pochette du siège devant vous.
A propos de l’interminable chute.
Donc l’appareil aurait chuté de 1800m en 3 minutes à 950 km/h. Dit comme cela c’est impressionnant non ! En fait ça ne l’est pas du tout.
Prenons les choses dans l’ordre car les médias ont l’art de faire de quelque chose de totalement normal quelque chose d’exceptionnel.
Non l’appareil n’est pas tombé à une vitesse de 950 km/h ! Il est tombé alors qu’il volait à 950 km/h, ce qui est totalement différent. Un peu comme dans l’exemple des dos d’ânes si vous prenez un dos d’âne à 50 km/h vous n’allez pas décoller à une vitesse verticale de 50 km/h ! Il s’agit de sa vitesse horizontale, pas sa vitesse verticale qui, elle, est celle de la chute.
Ensuite parlons de la chute de 1800m en trois minutes. Là encore, dit comme ça ça fait peur. Et si vous voulez avoir encore plus peur dites vous que ça fait 180000 cm en trois minutes. Et bien sachez que 1800m en trois minutes ça n’est pas une chute mais une descente ! N’en déplaise aux médias qui pourraient vérifier les informations avant d’écrire n’importe quoi.
1800m cela fait 6000 pieds dont on parle d’une chute de 2000 pieds par minute. Et bien c’est un taux de descente totalement normal quand un appareil quitte son altitude de croisière et commence sa descente.
A l’heure où je vous écrit, les passagers du vol AF25 reliant Los Angeles à Paris sont en train de vivre la frayeur de leur vie en chutant à la vitesse hallucinante de 2300 pieds par minute ! Et cela ne fera pas une ligne dans les journaux demain car c’est un taux de descente tout à fait normal à de telles altitudes.
Tout comme ce Oslo Paris à 1984 pieds par minute. Ca doit être la panique dans la cabine.
Bien sur plus les appareils se rapprochent du sol plus leur taux de descente ralentit pour atteindre avant l’approche finale des taux proches de 600 pieds par minute, taux qui correspond à peu près à un changement de niveau de vol en croisière, un chiffre que l’on retiendra plus tard pour mesurer les turbulences rencontrées pendant le vol.
Donc cette fameuse chute est en vérité une descente contrôlée par les pilotes, justement pour sortir de la zone de turbulences, mais est postérieure aux fameuses turbulences.
On le voit clairement sur les données disponibles sur Flightradar24. On voit ici que pendant la période de turbulences l’appareil a pu avoir une vitesse verticales de -1500 pieds par minute par moments.
1500 pieds par minute c’est moins que lorsqu’un avion quitte son altitude de croisière !
En fait on distingue deux périodes de chute que j’ai isolé en agrandissant l’image pour noter les heures de début, de fin, et d’atteinte de la vitesse maximale de chute.
La première commence à 7:49:43, la vitesse de chute maximale est atteinte à 7:49:46 puis elle décroit jusqu’à ce que la chute cesse à 7:49:49.
La seconde commence à 7:49:58, la vitesse de chute maximale est atteinte à 7:50:08 puis elle décroit jusqu’à ce que la chute cesse à 7:50:29.
Donc une chute de 6 secondes suivie d’une autre de 31 secondes et, bien sûr, elle n’a pas été continuellement de 1500 pieds par seconde : il y a eu à a chaque vois une accélération, l’atteinte de la vitesse maximale puis une décélération de la chute. Sur ces 37 secondes la vitesse de 1500 pieds par minute n’a été atteinte que pendant 3 ou 4 secondes.
Attention cela ne veut pas dire qu’il ne s’agissait pas de ce qu’on appelle des turbulences sévères, le niveau ultime possible, et si nous avions été dans l’appareil je ne doute pas qu’on aurait peut être pensé au pire même si, encore une fois, on sait que l’avion ne risque rien et qu’on ne se crashera pas.
Mais la vérité n’est pas une chute infernale de 3 minutes à une vitesse impressionnante inférieure à celle d’une descente normale mais un épisode de turbulences, extrêmes soit, qui a duré moins d’une minute et au cours duquel la vitesse de chute de 1500 pieds par minute a été atteinte pendant environ 4 secondes.
Et si on considère que 700 pieds par minute est un taux de descente « normal » pour la phase finale d’un atterrissage, il n’a été dépassé que pendant 19 secondes.
J’ai matérialisé ceci en annotant le graphique : les traits rouges représentent le début de la chute, le moment de la vitesse maximale et le moment où elle cesse et les traits bleus les périodes où la vitesse de chute est supérieure au taux de descente d’un atterrissage.
Il suffit d’agrandir l’image pour lire distinctement l’échelle de temps et si des amateurs comme nous y arrivent je ne doute pas qu’un journaliste consciencieux en soit également capable, tout comme savoir qu’une chute de 2000 pieds par minute…n’est pas une chute.
Alors pourquoi autant de blessés ? Ca n’est pas la vitesse de la chute qui compte mais le temps mis pour l’atteindre. Un peu comme les attractions à sensation dans les parcs de loisirs comme le Space Mountain à Disneyland : ça n’est pas tant sa vitesse qui est impressionnante mais son accélération. Quand un appareil descend il va mettre un certain temps à atteindre une vitesse de descente de 2000 pieds par minute, cela va se faire progressivement. Par contre lorsque cette vitesse est atteinte en moins d’une seconde on est projeté au plafond.
Parce que à aucun moment la vitesse de la chute n’a été supérieure à celle d’un avion qui quitte son altitude de croisière pour entamer sa descente.
Et donc, comme le montre le graphique, la chute n’a pas été de 1800m mais d’environ 300 pieds, c’est à dire 90 mètres. Et 90m en quelques secondes c’est déjà énorme, en témoignent les blessures des passagers, sans qu’il ait besoin d’en rajouter.
Donc plutôt que nous parler d’une chute de 3 minutes qui n’a pas existé ou de turbulences où la vitesse de chute n’avait rien d’impressionnant où encore d’une chute de 1800m qui n’a en fait été que de 90, les médias auraient pu parler du nombre de G encaissés par les passagers durant les quelques secondes de turbulences. Mais visiblement c’est trop leur demander.
A titre de comparaison le tristement célèbre vol AF447 a, lors de son décrochage, atteint une vitesse verticale de -10 000 pieds par minute.
Encore un Boeing
Bien sûr, on n’a pas échappé aux raccourcis facile et aux « encore un Boeing impliqué dans un incident ». On ne va pas nier que Boeing ne traverse pas la plus glorieuse époque de son histoire mais les turbulences ne sont pas sectaires et frappent indifféremment tous les avions.
Un A350 ne s’en serait pas mieux sorti.
Encore une fois, en dehors d’une peur voire d’une panique légitime à laquelle nous aurions sûrement cédé nous-mêmes, les seules conséquences dramatiques sont les blessés et le décès et si ce dernier est dû à une crise cardiaque, les autres auraient pu évités ou largement réduits par le port de la ceinture.
De plus le 777 est un appareil très sûr qui malgré une longue carrière n’a été impliqué que dans 4 accidents graves entrainant la perte de l’appareil
• Le crash de l’Asiana Airlines 214 lors de l’atterrissage à San Francisco en 2013.
• La disparition inexpliquée du Malaysia Airlines 370 en 2014.
• La destruction du Malaysia Airlines 17 par un missile au dessus de l’Ukraine en 2014.
• Le crash de l’Emirates 521 lors d’un atterrissage raté et une remise de gaz tardive en 2016.
Conclusion
Oui le vol Singapore Airlines 321 a rencontré des turbulences sévères qui en plus d’une frayeur légitime ont causé la blessure de 30 personnes et le décès d’une autre. Mais ça n’est pas tant la vitesse de la chute qui en est la cause que sa soudaineté.
Mais tous les chiffres que les médias racontent depuis le début de l’affaire sont faux et ce qu’ils présentent comme une chute est une descente maitrisée postérieure aux turbulences.
Quant aux turbulences elles ont provoqué une chute de l’appareil à la vitesse de 457m/minutes, inférieure à celle d’un début de descente, pendant quelques secondes et à une vitesse supérieure à celle d’une approche finale pendant une trentaine
Et le fait qu’il s’agisse d’un Boeing ne change rien à l’affaire.
Photo : B777 300-ER Singapore Airlines de axell.rf via Shutterstock