Air France rend le ciel plus lugubre que la terre

Air France a récemment présenté sa nouvelle campagne de communication pour son programme Air France Protect. Qu’est-ce qu’Air France protect ?

C’est la marque ombrelle de toutes les initiatives de la compagnie française pour rassurer les passagers et les faire revenir à bord des avions en mode « nous prenons soins de vous ».

Air France protect : rassurer le passager

Air France Protect est à coup sûr une excellente idée avec une promesse claire qui adresse les préoccupations des passagers. Et nous avons déjà parlé hier de la dimensions commerciale de cette promesse : là où tout le monde tend à supprimer les frais de modification, peu vont comme Air France jusqu’à proposer un remboursement.

Vu l’importance du sujet aujourd’hui, Air France Protect devait être plus qu’une offre ou un programme mais une marque. Et c’est donc logiquement qu’une campagne de communication dédiée vient d’être présentée.

Air France protect : une campagne qui glace le sang

Vu l’esthétisme qui a toujours été la marque de la communication d’Air France que ce soit sur les visuels, les vidéos ou le choix des bandes son, le niveau d’attente était élevé.

Cela commence donc avec un stewart que l’on imagine accueillir le passager avec un message rassurant (les mains en coeur). Bon on oublie vite que c’est un stewart. Outre le fait qu’on lui ait coupé la moitié de la tête ce qui déshumanise un peu la chose et l’empêche visiblement de porter un masque, c’est le choix des tons qui surprend.

Grande faucheuse ? Gardien de prison ? Gardien d’autre chose à la nuit tombante ou au petit matin dans le froid ? On l’imagine volontiers dans une version colorisée de la liste de Schindler mais pas dans les personnages les plus attachants. Ou alors s’agit il du responsable d’une morgue ?

Bref on oublie vite le cœur pour trouver le monsieur plutôt anxyogène. Il doit rassurer, être chaleureux, il incarne la froideur, la distance, la mort.

Et ceci dit ce coeur est infantilisant mais le reste est tellement à côté du sujet qu’on ne s’attarde même pas sur ce détail pourtant supposé être au cœur du message.

Second visuel.

J’ai essayé de penser à « La plage » avec Leonardo di Caprio et Virginie Ledoyen. Puis à « La piscine » avec Alain Delon et Romy Schneider. Finalement j’en suis arrivé aux « Dents de la Mer », à « Titanic », voire à un film retraçant la tragédie du Rio Paris.

On pourrait voir deux personnes en train de faire la planche dans un contexte apaisant et serein. On voit deux corps bleus, inertes, frigorifiés. Ajoutez le contenu de valises éparpillées autour et vous avez deux corps après un crash. Ou deux passagers du Titanic dans la froideur de la nuit, tentant de survivre dans un océan glacial. Ou ayant tenté : vu les couleurs on les imagine refroidis de manière définitive.

Ou alors est-ce une référence aux Schtroumpfs ? Mais là on est plutôt sur le terrain de Brussels Airlines.

Puis un troisième visuel

Celui là n’est pas contestable même si encore une fois on est dans des tons qui font plus penser à une morgue ou un funérarium qu’autre chose. On est à un enterrement, on rend homage à ceux qui nous ont quittés sans vraiment donner envie de quoi que ce soit.

Des choix de communication surprenants

Cette campagne a beaucoup fait réagir autour de nous et de manière unanime : elle fait peur, elle parle du risque et pas de ce qui est fait pour l’éviter, elle est froide, elle semble véhiculer deux messages contradictoires, elle est deshumanisée, elle incarne un ordre castrateur et pas le « care ». Peut être parce plus on fait naitre la peur chez le client plus il valorise les mesures proposées ?

Les univers qu’elle véhicule sont le carcéral, le funéraire, l’hôpital, la mort, le froid, la distance.

A la limite ils auraient pu faire du cobranding avec Game of Thrones.

En deux mots elle nous glace le sang.

Ce qui nous rappelle qu’Air France communique de manière bizarre et à contre emploi depuis le début de la crise et notamment depuis la « reprise ». On ne s’attardera pas sur le fond où sur fond de mesures sanitaires on nous a vendu du cost cutting caché derrière un masque et une dégradation du service supérieure à ce qu’on peut voir chez ses concurrentes directes.

Mais sur la forme, envoyer la directrice de l’expérience client expliquer avec un grand sourire que cette expérience va être dégradée dans des proportions parfois très importantes c’est parachuter un soldat isolé sur Omaha Beach le 6 juin 1944 ! Ca n’est pas à elle d’incarner ce qui reste de mauvaises nouvelles, ce qui reste une expérience dégradée, ce qui inquiète. Car même si le message est rassurant, parle de « care », il fait nécessairement référence à quelque chose qui fait peur.

Lorsque les autorités annoncent la fermeture des frontières, du ciel, le confinement, ou des mesures restrictives le président envoie le 1er ministre, le ministre de la santé, un préfet….et pas le ministre du tourisme ! Certaines personnes ont vocation a incarner les messages difficiles pour que d’autres, plus tard, ne soient pas « éclaboussés » et ne parlent que de positif.

Il y a bien chez Air France des gens en charge de la sécurité sanitaire ou de quelque chose d’avoisinant. Et ils ont certainement travaillé sur les protocoles mis en œuvre. Ce sont à eux de porter ces messages et la direction de l’expérience client doit être protégée pour revenir plus tard sur le devant de la scène. Là, de la même manière que certains disaient qu’Alain Juppé incarnait physiquement l’impôt, on fait incarner le COVID à quelqu’un qui doit incarner une certaine expérience de voyage dont on est loin aujourd’hui.

Un écart de conduite ?

Je suis loin d’être un des « flippés » du COVID mais franchement je ne sais pas si cette campagne me rassure et me donne envie de revoler. Elle évoque trop de sentiments négatifs là où on a besoin de chaleur, de positif, d’humain, de « care ». Froideur, corps inertes : on est dans le repoussoir.

Un choix très surprenant car, répétons le, Air France a toujours été douée dans le choix des « tons » de ses campagnes avec l’incarnation d’une certaine identité, d’une certaine promesse. On ne confondait pas une campagne Air France avec une autre et c’était la marque de fabrique de la maison.

D’accord on a pu se dire que choisir pour faire la bande son d’une publicité un groupe nommé Aswefall c’était un peu osé voire tordu.

D’accord le produit était parfois un peu survendu, la promesse un peut décalée par rapport à la réalité, mais le message que l’entreprise voulait passer était bien celui qui était véhiculé.

Pas certain que ça soit le cas ici.

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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