Un bon marketing de l’expérience peut il faire le succès d’une destination ?

Les gens n’achètent plus des produits mais des expériences, c’est ce que ne cessent de nous rabâcher les gourous du marketing et du digital depuis des lustres et nous souscrivons globalement à ce point de vue. Cela signifie-t-il pour autant que tout miser sur l’expérience va permettre de développer l’attractivité d’une destination ou le business des plateformes de réservation ? Rien n’est moins sûr.

Un récent article de McKinsey (The evolving role of experiences in travel) met en avant la transformation du secteur du voyage, où l’accent se déplace des destinations vers les expériences. Les voyageurs, en particulier les jeunes générations, recherchent des activités uniques et mémorables. Le marché des expériences touristiques, évalué à plus de 1 000 milliards de dollars, connaît une forte croissance. Cependant, la réservation de ces expériences reste souvent complexe et fragmentée. L’article appelle à plus d’innovation pour améliorer la découverte et la réservation, avec un besoin de meilleures collaborations entre prestataires, distributeurs et plateformes technologiques.

L’Eldorado de l’expérience de voyage

Ce que nous dit l’article est que bien que les gens recherchent des expériences, et donc à pouvoir identifier l’offre et facilement réserver, le processus est totalement fragmenté. On va réserver son vol quelque part, son hôtel ailleurs, ses restaurants à un autre endroit, et les excursions encore sur une autre plateforme.

C’est tout sauf pratique et fluide pour le client et, c’est l’angle essentiel de l’article, cela ne permet pas aux plateformes de distribution en ligne ou même aux agences de voyage, de pleinement capter un marché au potentiel énorme.

Ce que ne nous dit pas l’article qui ne s’intéresse qu’à la commercialisation du produit et pas au produit lui même, c’est également que c’est un enjeu clé pour les destinations. Beaucoup de destinations a priori pas tellement attirantes et auxquelles on ne pense pas spontanément ou qu’on garde pour un jour où on aura rien de mieux à faire ont compris qu’elles pouvaient exister autrement.

Elles ont une histoire à raconter, peuvent mobiliser les acteurs locaux de manière à proposer un récit cohérent et, partant là, proposer en parlant d’une seule voie et pas de manière dispersée un message qui ne s’adressera pas à tout le monde mais fera mouche auprès de gens à qui elles correspondent et n’auraient pas pensé à elles ou le les auraient pas priorisées. Pour vendre une expérience il faut avoir un discours expérientiel.

Bien sûr, si on veut faire les choses bien, il faut travailler sur le produit, l’offre proposée sur place par les différents acteurs (hotels, restaurants, office de tourisme, professionnels du tourisme au sens large, transports) pour rendre le tout cohérent, commercialement lisible afin de faire de la destination une marque et mieux la commercialiser. Indépendamment aucun acteur n’est vraiment attirant sur le marché mais tous ensemble ils racontent une histoire et proposent une expérience.

Bref c’est un marché à 1 000 milliards de dollars que destinations et distributeurs ont tout intérêt à capter et développer.

Le marketing ne se substitue pas au produit

Là où l’article fait un raccourci rapide c’est qu’il part du principe qu’il faut que la distribution et notamment les plateformes soient à même de proposer un « one stop shop », un point d’achat unique où tout sera commercialisé, facile à trouver par le client à qui on pourra de plus suggérer de nouvelles « expériences » pour compléter et améliorer leur voyage afin, pour les plateformes, de capter le marché et, conséquence logique, pour les destinations de faire vivre leur écosystème touristique.

Vous remarquerez qu’on met le mot expérience à toutes les sauces : ça n’est plus une destination, un hôtel, une excursion, un site touristique qui sont des expériences mais également l’acte d’acheter, de cliquer sur un bouton etc. On va bientôt réussir à convaincre les clients que voir une pub est une expérience (d’ailleurs c’est déjà fait). Etre obligé de traverser le duty free après les contrôles de sécurité dans un aéroport est vendu aujourd’hui par les aéroports comme une expérience enrichie…

Mais cette approche uniquement orientée marketing est un trompe l’oeil voire un leurre. Si elle peut bénéficier aux distributeurs elle peut être contre-productive si le produit n’est pas à la hauteur des attentes et déçoit le touriste. Le plaisir d’une belle expérience en ligne ne survit pas à la déception d’une expérience médiocre sur place ou pas en ligne avec la promesse et, dans ce sens, un voyage n’est pas si différent de n’importe produit physique acheté en ligne : à la fin c’est le produit qui fait l’expérience.

Pour avoir eu l’occasion de largement creuser le sujet à un moment de ma vie professionnelle je voudrais ici revenir à la base : le concept d’économie de l’expérience qui n’a rien de neuf et n’a pas attendu le digital pour exister. Il a en effet été introduit par Joe Pine et James H. Gilmore en 1998 dans leur article de la Harvard Business Review intitulé « Welcome to the Experience Economy« .

L’expérience c’est un modèle économique et un produit avant tout

Il soutient que les entreprises doivent évoluer au-delà de la simple vente de biens et services en créant des expériences mémorables pour leurs clients. Dans cette économie, la valeur est ajoutée non seulement par ce que l’entreprise propose, mais par l’émotion et l’engagement que les clients ressentent lors de leur interaction. Les entreprises qui réussissent se concentrent sur la personnalisation et la mise en scène pour transformer des moments banals en événements significatifs et engageants pour les consommateurs.

Soyons un peu plus concrets.

Pine utilise la métaphore du café pour expliquer ce qu’est l’économie de l’expérience. Le café, en tant que produit brut (matière première), ne coûte presque rien. Transformé en bien (grains emballés), il prend plus de valeur. En tant que service (un café servi dans un diner), le prix augmente encore. Mais dans une économie de l’expérience, comme dans un café haut de gamme où l’atmosphère et l’expérience globale sont mémorables, le prix est bien plus élevé car les clients paient pour l’expérience unique, pas seulement pour la boisson.

Appliquez cela à l’industrie du voyage et vous comprenez que l’économie de l’expérience relève avant tout d’une réflexion sur le modèle économique, ensuite d’un travail sur le produit et, en bout de chaine seulement d’une logique marketing.

Les client sont sensibles à l’expérience…une fois d’autres conditions remplies

L’article nous explique donc que les clients achètent des expériences et que la notion d’expérience est clé dans leur décision d’achat. Dans les critères de choix d’une destination.

Vraiment ?

L’importance des facteurs expérientiels est difficilement discutable même s’ils ne sont que finalement que 5 dans les 20 premiers.

Mais, surtout, regardons les 4 premiers : sécurité, facilité de se déplacer sur place, prix, qualité du logement.

Et vous pourrez proposer toutes les expériences que vous voulez vous n’intéresserez personne si, à notre avis, au moins deux des critères pré-cités ne sont pas remplis.

J’ai lu récemment l’exemple d’une ville française de taille moyenne qui se félicitait de l’ouverture prochaine d’un hôtel appartenant à un grand groupe international (hors Accor) car cela la positionnait enfin sur la carte de France. Et pourtant il s’agit d’une ville au patrimoine culturel reconnu et classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Pourquoi ? Pour de nombreux touristes étrangers aller dans une chaine qu’ils ne connaissent pas ou n’appartenant pas à un groupe qu’ils connaissent est un saut dans l’inconnu qu’ils ne sont pas prêts à faire. La ville, même s’ils savant qu’elle vaut le déplacement, n’est pas une option lorsqu’ils planifient leurs voyages car elle n’apparait dans leur app favorite au moment de choisir leurs hôtels. On ne considère pas une ville où on sait qu’on ne trouvera une option d’hébergement avec laquelle on est confortable.

J’ai entendu la même chose de touristes étrangers à propos de la Corse cet été !

On ne parle pas de gamme d’hôtel ou de nombre d’étoiles mais de leur appartenance à quelque chose de connu et rassurant, sans compter la propension qu’ont les gens dans certains pays à baser ses choix sur les programmes de fidélité auxquels on appartient.

Pour d’autres le coût ou, a minima, le rapport qualité prix ou expérience prix sera décisif.

Pour d’autres l’important sera que tout soit facilement accessible à pied ou, dans la négative, qu’il existe un réseau de transport (bus, métro ou même Uber) efficace.

Je ne parle pas de la sécurité qui n’est négociable que par quelques aventuriers.

Un peu comme une Pyramide de Maslow du voyage : des expériences mais seulement une fois que les besoins pratiques et basiques sont satisfaits.

Conclusion : le produit, encore le produit, toujours le produit

En fait ce tableau nous dit un peu l’inverse ce que nous dit l’article : oui les gens achètent des expériences mais il y a un préalable lié au produit

Parlant d’une destination le produit est vu au sens large mais sécurité, infrastructures de transport, qualité (perçue) de l’hébergement, abordabilité (en fonction de la clientèle visée) sont des préalables.

Penser que le marketing et la distribution feront tout et se dispenser d’une réflexion et, le cas échéant, d’investissements sur le produit ne mènera pas loin.

Ca n’est qu’à ce moment que les grandes plateformes seront vraiment utiles.

Image : expérience de voyage de frantic00 via Shutterstock.

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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