Airbus et Qatar Airways : un divorce à 13 milliards pour une querelle de peinture

Airbus a dernièrement annoncé annuler de son propre chef le restant de commandes d’A350 de Qatar Airways portant sur 19 appareils. Une étape majeure dans le conflit qui oppose depuis un an l’avionneur européen et la compagnie du Golfe mais qui ne clot en aucun cas la bataille judiciaire.

Dans cet article nous allons revenir sur le déroulement de cette affaire et sur les conséquences possibles pour les deux parties.

Des problèmes de peinture sur les A350 de et une flotte clouée au sol

C’est en aout 2021 que Qatar Airways a annoncé que des défauts de peinture identifiés sur ses A350 entrainaient leur immobilisation en raison de potentiels risques en termes de sécurité, le fuselage étant ainsi exposé aux éléments sans aucune protection.

La compagnie publiera plus tard des photos illustrant ses propos, suivie par Reuters.

Reuters publiera également une vidéo en juin dernier.




En fait pour être précis ça n’est pas Qatar Airways qui a décidé de clouer ses avions au sol mais l’autorité de régulation Qatarie, la Qatar Civil Aviation Authority. S’estimant victime d’un préjudice, faute de pouvoir opérer des avions qu’elle a payée, la compagnie a demandé à Airbus de remédier à la situation ainsi qu’une indemnité de 200 000 dollars par avion et par jour d’immobilisation. Aujourd’hui la somme se monte donc à 1,4 milliards de dollars pour 23 appareils immobilisés.

Airbus, de son côté, a bien reconnu le problème et annoncé tout mettre en œuvre pour le régler mais réfute le fait qu’il présente le moindre risque en termes de sécurité et refuse par conséquent de payer la moindre indemnité.

Jusque là rien que des comportements logiques par deux parties qui essaient chacune de protéger leurs intérêts et on pouvait s’attendre à ce que, comme souvent, tout se règle autour d’une table et dans la plus grande discrétion.

Mais il n’en fut rien.

Escalade et première annulation de commande

Qatar est pressée d’arriver à un règlement et décide donc, en décembre 2021, de porter l’affaire devant la Haute Cour de Justice britannique au lieu d’avoir recours à un arbitrage indépendant comme le préférait Airbus.

En attendant Qatar Airways a refusé la livraison de deux nouveaux A350 en attendant que le cas de ses appareils existants soient réglés. Elle en profite pour attaquer Airbus en lui demandant 600 millions de dollars de compensation pour le préjudice subi par l’immobilisation de ses appareils.

Dans la foulée Airbus demandera 200 millions de dommages et intérêts pour la livraison refusée par la compagnie.

La réaction d’Airbus fut rapide et constitue certainement une première dans le monde de l’aérien. Si en général les annulations de commandes sont la cause de renégociations de marchés, de conversions d’une commande d’un appareil en commande d’un autre, voire de la mauvaises posture financière d’une compagnie, elles se font en général à l’amiable et c’est la compagnie qui en est à l’origine.

Rien de cela ici : Airbus a unilatéralement annulé une commande de 50 Airbus A321Neo destinée à la compagnie qatarie. Malgré les contestations de cette dernière Haute Cour de Justice de Londres a autorisé l’avionneur européen à réattribuer les slots de production de ces appareils à d’autres compagnies, malgré le fait que Qatar Airways ait versé 330 millions d’avance sur cette commande estimée à 6 milliards de dollars.

Voilà pour le volet judiciaire concernant l’A321Neo. Mais le feuilleton de l’A350 n’est pas fini.

Victoire à la Pyrrhus pour Qatar et seconde annulation de commande

C’est en juillet que les deux parties se sont à nouveau retrouvées au tribunal, cette fois-ci parce qu’Airbus refuse de communiquer certaines informations et documents à Qatar Airways en vertu d’une loi « de bloquage » qui lui permet de ne pas divulger d’informations sensibles lors d’enquêtes menées par des autorités étrangères.

Entre temps Airbus avait annulé la livraison de deux nouveaux appareils.

Si une partie des demandes de la compagnies sur d’autres sujets ont été rejetées, le juge lui a donné sur le point mentionné plus haut., arguant que cette loi française ne s’appliquait pas dans ce cas précis.

Désormais le procès peut se tenir mais Qatar n’est pas plus avancée.

Dans la foulée Airbus a annulé la semaine dernière le reste de la commande d’A350, portant encore sur 19 appareils.

Les deux parties se retrouveront donc devant les tribunaux en juin 2023 pour le round final et la détermination, ou non, des responsabilités de l’avionneur et des éventuelles compensations dues à la compagnie.

Côté européen on continue à espérer un règlement à l’amiable d’ici là mais son adversaire semble désormais décidé à aller au bout des choses.

Rendez vous donc en 2023…à moins d’autres rebondissements entre temps.

Le contexte rappelé, on peut alors se poser quelques questions.

Les défauts de peinture affectent ils la sécurité de l’appareil ?

A défaut d’être experts en la matière on se reposera sur les avis des autorités compétentes.

Selon les autorités Européennes (EASA) ça n’est aucunement le cas, selon les autorités qataries il y a bien un problème de sécurité.

Qui croire ? On peut déjà légitimement questionner l’indépendance de l’une et de l’autre vis à vis de leur « champion local ». Pour autant d’autres compagnies que Qatar Airways semblent connaitre les mêmes problèmes sans pour autant réagir avec autant de vigueur. Il s’agirait de Finnair, Etihad, Cathay Pacific et Air Caraibes.

L’autorité Qatarie aurait elle « filé un coup de main » à sa compagnie nationale ?

Faute d’avis d’expert unanimes et tranchés on vous laisse vous faire une opinion.

Existe-t-il un préjudice pour Qatar Airways ?

A partir du moment où des appareils sont cloués au sol en raison d’un défaut la réponse semble être évidemment oui. Mais c’est plus compliqué.

Si on se fie à l’EASA il n’y a aucun problème de sécurité donc la décision des autorités Qataries (si elle n’a pas été prise à la demande de la compagnie pour la protéger) est infondée. Si on se fie à l’autorité Qatarie, il y a bien sur un préjudice.

On ne sera fixés que lorsqu’un expert indépendant se sera prononcé sur les conséquences réelles du problème de peinture, condition sine qua non pour juger de la légitimité des décisions prises jusqu’ici.

Pour autant le préjudice, s’il existe, est à relativiser par le fait que la compagnie n’aurait, en raison de ce défaut, pas payé les « leasers«  propriétaires de avions. Dans ce cas si elle a manqué une opportunité de gagner de l’argent elle n’en a pas perdu non plus.

D’ailleurs peut on imaginer un recours des leasers contre Airbus ?

Par contre il existe à notre avis un indéniable préjudice d’image : des avions en un tel état détériorent l’image de la compagnie et je pense que n’importe quel passager ne serait pas rassuré en montant dans un tel appareil. Quand on est la meilleure compagnie au monde un préjudice d’image est tout sauf négligeable.

Existe-t-il un préjudice pour Airbus ?

Airbus a déjà fait valoir que le refus de Qatar Airways de réceptionner deux appareils lui cause un préjudice.

On peut là aussi penser à un préjudice d’image pour l’avionneur Européen…à condition qu’in fine la justice considère la position des qataris disproportionnée par rapport au risque.

Airbus a-t-il perdu gros ?

Sans parler des éventuels dommages et intérêts, Airbus vient de s’asseoir sur 6+7=13 milliards de commandes. Ca n’est pas rien.

Pour autant ça n’est pas « si » catastrophique que cela. Airbus, comme Boeing, ont des carnets de commandes pleins pour plusieurs années et la seule chose qui va changer est que des compagnies qui devaient prendre possession d’A321Neos et d’A350 dans plusieurs mois ou années devront attendre moins longtemps. D’ici là d’autres clients viendront.

Oui Airbus va rater l’occasion de faire rentrer 13 milliards dans ses caisses mais elle ne va pas se retrouver avec des invendus. Sur la durée de vie des programmes A350 et A321Neo ces sommes sont à relativiser.

Va-t-elle perdre Qatar en tant que client ? A court terme certainement, à moyen ou long terme tout peut vite changer dans ces affaires ou chacun essaie de bluffer plus que l’autre donc on ne sait pas. Et il n’est pas certain que cela arrange Qatar non plus.

Voyons pourquoi…

Quelles perspectives pour Qatar Airways ?

Aujourd’hui les choses sont simples : s’approvisionner exclusivement chez Boeing. Aujourd’hui la compagnie opère des avions des deux constructeurs donc cela ne lui pose pas de problème.

D’ailleurs une commande de 737MAX a été passée pour compenser la perte des A321Neos.

Mais à terme ça n’est pas une situation souhaitable pour la compagnie. Sur un marché en forme du duopole les compagnies font jouer la concurrence entre les deux principaux constructeurs. Il lui sera désormais difficile de négocier en position de force avec Boeing en sachant qu’elle n’a pas autre option que de passer par le constructeur américain.

Que va-t-il se passer ensuite ?

A priori les deux protagonistes vont se retrouver devant les tribunaux en juin 2023 pour le combat final. En attendant tout peut arriver dans cette partie de poker menteur où chacun rend coup pour coup à l’autre et où l’on joue du bluff et de l’intimidation.

Un règlement à l’amiable est possible même s’il semble improbable aujourd’hui. Comme le sont d’autres plaintes pour les motifs les plus divers, histoire de maintenir la pression sur l’adversaire.

Une chose est certaine, Qatar a certainement encore moins envie de se retrouver sans moyen de négocier avec Boeing qu’Airbus perdre Qatar comme cliente. Mais avec Akbar Al Baker, le truculent Président de Qatar Airways, la frontière n’est jamais loin entre la défense de son business et les simples questions d’ego. Et comme chez Airbus on sait se défendre, cela peut tourner au dialogue de sourd même si personne n’y a intérêt.

Conclusion

Suite à des problèmes de peinture qui affecteraient la sécurité de ses A350, Qatar Airways a refusé des livraisons et attaqué Airbus. En réponse Airbus a annulé des commandes et attaqué à son tour la compagnie.

On ne connaitra l’issue de l’affaire que dans un an mais en attendant que la justice détermine les responsabilités de chacun, personne n’en ressort grandi.

Pour l’instant le seul gagnant dans l’histoire est…Boeing.

Image : A350 qatar Airways de Jaromir Chalabala via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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