Le vendredi 4 mai 2018 devait être une journée importante pour la direction d’Air France : elle devait rabattre le caquet de l’intersyndicale d’Air France, avec un vote franc et massif pour le oui aux propositions salariales de Jean-Marc Janaillac, le PDG du groupe Air France-KLM.
Mais à 18h, c’est la douche froide : avec un message Twitter laconique, Air France annonce un vote clair pour le « non » à la réforme poussée par la direction du groupe… Un camouflet qui va déstabiliser toute la compagnie aérienne, car le PDG a mis sa démission dans la balance.
Air France peut elle sortir de cette crise ? Rien n’est moins sûr
Une entreprise rongée par les corporatismes
Air France, ce n’est pas une entreprise, mais une multitudes de corporations censées travailler dans le même but, celui de transporter des passagers d’un point A à un point B. Au-delà de ce but commun, pas énormément de points communs entre les différents métiers de la compagnie.
Et surtout, le sentiment pour certains d’être plus forts que les autres, et pour les autres d’avoir fait beaucoup d’efforts pour pas grand chose.
Et tous ces corps de métiers, chez Air France, sont représentés par des syndicats différents, et assez puissants.
Comme dans toutes les compagnies aériennes, il y a un hiatus entre le personnel au sol et celui du siège d’une part, et le personnel navigant d’autre part. Mais cette différence a été exacerbée ces dernières années par le fait que les plans de départ volontaire successifs ont surtout touché le personnel du siège et le personnel au sol opérationnel, qui estiment avoir fait les efforts nécessaires de l’autre côté… Et c’est vrai. Le bilan du plan Transform 2015 est clair : la part de l’effort de productivité effectuée par le personnel au sol est supérieure à l’objectif fixé au début de l’exécution du plan. Et pas celui du personnel navigant.
Une culture client qui peine à s’imposer
Les initiatives du siège pour imposer la culture du « penser client » chez Air France auprès du personnel opérationnel, au sol ou navigant sont nombreuses. Nous pensons notamment au Club des Clients Référents Air France, créé sous l’impulsion de la direction du Moyen Courrier puis généralisé au sein des directions opérationnelles, et qui a permis d’avoir un contact direct entre clients, personnel du siège, au sol, PNC et PNT pour échanger ensemble sur les attentes des clients et en apportant ensemble des solutions opérationnelles répondant aux contraintes du terrain.
Nous pensons également aux Signatures de Service (Oser, Valoriser, Porter attention, Avoir le sens du détail, Personnaliser), un concept auquel tous les opérationnels ont été formés et qui allie excellence du service, empowerment et prise d’initiative… Signatures tombées aux oubliettes depuis quelques temps, avec un service tellement hétérogène de vol en vol que les clients s’interrogent sur l’hétérogénéité des protocoles, notamment en classe Business.
Surtout, le problème culturel est plus profond. En parallèle de ces initiatives louables, les organisations syndicales continuent de trainer la compagnie vers le bas, en se plaignant de conditions de travail plus difficiles en raison de services plus allongés et donc plus fatigants car plus personnalisés…
Non seulement c’est totalement contraire à l’esprit qui devrait gouverner tout métier de service, mais trouver ces tracts publics (et donc accessibles aux clients) est tout bonnement scandaleux… L’effort de transformation culturel est donc immense au sein de la compagnie.
Une fusion avec KLM qui ne s’est jamais vraiment terminée
La fusion entre Air France et KLM est un serpent de mer. Mais d’abord, appelons un chat un chat : ce n’est pas une fusion, mais bien un rachat de KLM par Air France, que les choses soient claires !
Mais que s’est-il passé depuis ? Pas grand chose. On essaie. On essaie depuis 15 ans d’harmoniser les pratiques. Un peu partout. Sans but vraiment précis. Rationaliser ? Surtout pas…
Résultat : des doublons un peu partout dans les fonctions support, une force commerciale pas vraiment fusionnée (ah si, super, Air France vend du KLM en France et inversement aux Pays-Bas).
Seule la filiale Engineering & Maintenance semble fusionnée… Quand on la voit de l’extérieur.
A titre de comparaison, en 3 fois moins de temps, Lufthansa Group et IAG ont réussi à rationaliser la quasi-totalité des fonctionnalités des fonctions support des compagnies qui la composent.
Et au final, le groupe Air France-KLM n’a pas retrouvé de marge de manoeuvre !
Des réformes successives qui ne se sont pas attelées à la réelle transformation
Toute entreprise du CAC40 se doit d’avoir un plan stratégique à 5 ans, avec le plan de transformation opérationnel associé. Air France n’a pas dérogé à la règle avec Transform 2015, Perform 2020 sous l’ère Juniac puis Trust Together sous l’ère Janaillac.
Et si l’ambition initiale était d’amener Air France « au meilleur niveau mondial », citant Singapore Airlines comme référence, les projets composant ces plans de transformation n’allaient pas suffisamment loin, qu’ils portent sur l’augmentation du haut de bilan (modernisation de la flotte trop hétérogène, cabines rénovées au meilleur niveau mondial déjà dépassées et trop lente, amélioration du réseau insuffisante), ou sur la diminution du bas de bilan (focalisation sur les coûts annexes et non sur les coûts salariaux opérationnels qui sont pourtant ceux qui pèsent à long terme).
Sur la question des coûts plus précisément, et notamment sur la question des salaires, le travail effectué s’est focalisé sur le personnel au sol et celui du siège. Mais, d’une part, ce n’est pas lui qui pose problème à long terme, mais bien le coût du personnel navigant, surtout au vu de celui d’Air France figurant parmi les plus coûteux du monde.
Et surtout, d’autre part, la chasse aux coûts au siège fait qu’Air France a non seulement perdu ses talents les plus pointus, mais n’arrive plus à recruter au vu des salaires proposés, entre 30 à 40% inférieurs au prix du marché. Difficile pour la compagnie de recruter les meilleurs talents digitaux dans ce contexte…
Mais comment faire ? Il n’y a pas cinquante solutions : refaire un budget « base zéro », c’est à dire établir les coûts d’Air France sur des bases propres, comme si l’on créait la compagnie aujourd’hui, et tout mettre en œuvre pour y coller au plus près.
Même l’ancienne proposition de la direction n’est plus réaliste
Pour mettre fin au conflit social qui a imposé aux passagers de la compagnie 13 jours de grève en 2018, la direction d’Air France et Jean-Marc Janaillac lui-même ont proposé aux représentants du personnel un accord salarial limitant les augmentations de salaire pour préserver les marges permettant à la compagnie de continuer à investir sur le produit. Des 12% d’augmentation en 2018 demandés par les syndicats de pilote initialement, Air France proposait une augmentation de 7% sur 4 ans, conditionnés par les résultats de la compagnie.
Mais aujourd’hui, cette proposition n’est même plus réaliste. Le groupe Air France-KLM a en effet annoncé des résultats catastrophiques au 1er trimestre, avec une perte nette de 126 millions d’euros, principalement causée par les mouvements sociaux… Mais pas seulement.
Le pire dans ces résultats, c’est cette annonce combinée au fait que le trafic et la recette unitaire sont en progression. Et donc que les coûts continuent d’augmenter malgré les 3 plans de transformation successifs…
Il parait donc intenable aujourd’hui de maintenir les 7% d’augmentation proposés par la direction, au risque de continuer de voir plonger les comptes dans le rouge, et avec la capacité d’investissement de la compagnie…
Qui pour reprendre un navire qui coule ?
Suite au vote négatif des salariés d’Air France, Jean-Marc Janaillac a donc annoncé sa démission sur le champ, puis a accepté d’attendre le prochain conseil d’administration du groupe prévu le 15 mai 2018.
Pour prendre sa place, personne ne se précipite au portillon… Le nom d’Anne-Marie Idrac, ex-présidente de la RATP, circule. Une bonne idée ? Cela reste à prouver : Air France a besoin d’un grand patron, d’un capitaine d’industrie… Pas vraiment d’un ancien président d’une entreprise publique florissante. Ce sont des Vincent Bolloré ou des Carlos Ghosn dont Air France-KLM a besoin.
Et pourquoi pas un néerlandais ? Cela aurait du sens et déplacerait le centre de gravité où les bénéfices se font au sein du groupe
Un futur sombre, très sombre
Que l’avenir réserve-t-il au groupe franco-batave ? Les choses sont assez floues, mais l’on peut craindre le pire. Outre les employés frustrés, grévistes ou non, la crise de management ne laissera pas la compagnie indemne. Le groupe qui devait voler au secours d’Alitalia déjà en péril il y a dix ans se retrouverait-il dans une situation similaire ? Ce n’est pas impossible, l’Etat ayant déjà indiqué par la voix de Bruno Le Maire qu’il ne remettrait pas un sou dans la machine.
Chez TravelGuys, nous avons une conviction, celle que le salut de notre compagnie nationale pourrait venir d’outre-Atlantique.
Delta Airlines est le partenaire historique du groupe, et a énormément d’enjeux communs avec les deux compagnies Air France et KLM : outre la joint-venture transatlantique, le groupe a de nombreuses participations croisées avec Delta, notamment au sein de Virgin Atlantic et des compagnies chinoises de SkyTeam… Et si la crevette et la couronne se mutaient en triangle ?