C’est quand tout va bien qu’il faut faire les réformes difficiles

Dernier éditorial de l’année 2017 sur TravelGuys, année riche en rebondissements : des compagnies ont disparu comme Airberlin, et d’autres ont été créées comme Level. Pour l’ensemble du secteur, c’est une année de consolidations et de prises de bénéfices… Nous verrons dans le courant du premier trimestre 2018 qui en a le mieux tiré parti.

Revenons sur le parcours de notre compagnie nationale : Si des efforts colossaux ont été effectués par le groupe Air France – KLM dans les 5 dernières années, d’abord avec le plan Transform puis le plan Perform sous l’ère de Juniac, notamment sur le produit et le service, ainsi que sur la productivité du personnel au sol, Jean-Marc Janaillac a hérité d’une compagnie socialement exsangue, avec des catégories de personnel qui s’affrontent, un chantier sur le coût du travail loin d’être terminé, un nouveau produit d’excellente qualité mais dont le déploiement prend plus de temps que prévu, et enfin un programme « Signatures de services » qui reste à renforcer sur sa base.

Le marché domestique d’Air France n’est pas aussi aisé que celui de ses concurrentes

Clarifions les choses dès le départ : lorsque je parle ici de marché domestique, je parle bien des clients qui résident en France, et non du marché des lignes domestiques.

Qui sont les concurrents d’Air France en Europe : principalement IAG (British Airways, Iberia, Vueling et Level) et le groupe Lufthansa (Lufthansa, Eurowings, Swiss, Edelweiss, Brussels Airlines, Austrian, Niki et peut-être bientôt Alitalia).

Lorsque l’on regarde l’ensemble des pays d’origine de ces compagnies (hors Iberia – Espagne et Brussels Airlines – Belgique), ils bénéficient d’un marché natif de résidents plutôt aisés, et dont les salaires des cadres sont nettement supérieurs aux salaires français, à profession et expérience égale, pour des raisons socio-économiques qui leurs sont propres.

Résultat : une plus grande propension à dépenser plus pour voyager, à moins regarder le critère prix dans le choix de compagnies.

Pour Iberia et Brussels Airlines, la politique tarifaire de ces compagnies a été profondément revue lors de leur intégration dans leurs groupes respectifs, pour coller au marché local.

Air France souffre donc de ce pouvoir d’achat moindre des français, qui ont donc une propension moindre à voyager dans les classes avant, sont sensibles au prix en classe économique et choisissent donc prioritairement sur ce critère. Ajoutons à cela des politiques voyages peu généreuses pour les entreprises françaises et un pricing Air France qui n’avantage pas les résidents et le cocktail perdant est presque terminé !

Du coup, Air France va chercher les anglais, allemands, suisses et autres autrichiens sur leur propre territoire, avec des tarifs concurrençant les vols directs des compagnies nationales. Quelle est la réelle rentabilité d’un Tunis-Pékin vendu 790 € aller-retour, ou d’un Bruxelles-Dubai vendu 1 350 €, sachant que les directs depuis Paris sont a minima 2 fois plus chers ?

La solution ? Revoir la politique tarifaire (hors promos) pour les départs France, et pousser les réductions Corporate dans les classes Business pour inverser la vapeur sur les politiques voyage des grandes entreprises françaises.

Comparer les salaires des pilotes français, anglais, allemands et émirati est une ineptie !

Pour revoir sa politique tarifaire, notamment à la baisse, Air France doit travailler sur ses coûts de production, et les réduire. En 15 ans de plans de transformation au sein de la compagnie nationale, seule l’écume a finalement été traitée.

Et la mauvaise : depuis toutes ces années, c’est le personnel au sol et le personnel du siège qui a été majoritairement touché. Pourquoi est-ce la mauvaise écume ? Parce que le personnel du siège n’est ni pléthorique, ni bien payé. Et loin de là. Bertrand et moi étant dans le monde de la RH, nous vous certifions qu’à poste et expérience égaux, le personnel du siège est payé 30 à 40% en dessous du prix du marché. Et les jeunes, beaucoup moins fidèles que leurs ainés à leur entreprise, ne s’y tromperont pas (en témoigne la récente fuite des cerveaux digitaux…).

Si l’on regarde les PNC, s’ils sont évidemment mieux payés que leurs collègues d’autres compagnies nationales telles que Corsair ou XL Airways, rien ne tranche.

En revanche, pour les PNT, l’équation est toute différente. Vous me direz : ils sont payés comme chez BA, EK ou LH. Certes.

Comparaison des salaires annuels bruts moyens des commandants de bord sur l’appareil le plus ancien de la flotte
Compagnie Air France KLM Lufthansa British Airways
Salaire 227 544 € 256 718 € 225 000 € 206 985 €

Mais compare-t-on les salaires des cadres français avec ceux des cadres européens ou émirati ? Non et heureusement, car l’on se ferait mal : la différence de salaire net fluctuerait entre 30 et 70% pour l’Allemagne et le Royaume-Uni, et souvent plus du double pour les Emirats Arabes Unis. La solution est donc toute trouvée : il faut diminuer drastiquement le coût des pilotes pour le ramener au coût chargé environné d’un pilote dubaïote, cela veut donc dire modifier les conditions d’emploi en travaillant beaucoup plus ou en diminuant le salaire brut drastiquement. Irréaliste ? Socialement oui mais n’est-ce pas la seule solution économique pour qu’Air France soit aussi compétitive que ses collègues européennes.

Et finalement, les pilotes mécontents pourront toujours aller travailler chez nos voisins ou à Dubai, mais je pense que la plupart d’entre eux restera attaché à notre pays.

Changer la culture pour que la prestation des mauvais jours soit déjà très bonne

Tous les spécialistes des organisations et des ressources humaines vous le diront : en conduite du changement, le pilier Culture est le plus difficile à traiter. Et pour cause : la culture, c’est l’ADN de la compagnie, c’est ce sur quoi le personnel s’est bâti d’année en année.

Et cet ADN, chez Air France, est basé sur les relations interpersonnelles et l’initiative, y compris dans les protocoles de service en vol. Si cette culture permet d’être parfois épaté par le niveau de service reçu par un équipage sur un vol donné, elle permet parfois le plus médiocre lorsque l’équipage est fatigué ou peu motivé (notamment au départ des escales parfois arrosées).

S’il est important de travailler dans une bonne ambiance de travail, cette ambiance ne devrait jamais prendre le pas sur le service et ne devrait que servir les missions des équipages.

Or, ce n’est pas entièrement de leur faute si le service fluctue : c’est bien souvent par un manque de procédures écrites autour du simple service que l’hétérogénéité est souvent ressentie par les voyageurs.

  • Est-on appelé par son nom ? Parfois.
  • Nous sert-on du champagne en boisson de bienvenue ? Parfois oui, parfois non, vous comprenez, il y a les taxes ! (WTF ? Pour 10 € de taxes ?)
  • Est-on salué par le chef de cabine ou par le CCP ? Parfois
  • Fait-on un effort particulier pour les clients Platinum en cabine Economy ? Quasiment jamais, à part une salutation laconique en fin de vol
  • La réponse au bouton d’appel ? Il y a du mieux
  • Le nombre de plats au choix ? Ca dépend de l’heure, de l’escale, etc
  • Un service complet ou rapide ? Ca dépend de l’escale et de l’appareil
  • Du champagne en Economy ? Ah non, vous êtes sur un vol COI…

Non mais attendez, les passagers, eux, payent la même chose ! Le protocole doit donc être le même tout le temps, les équipages construits pour. Si l’on peut faire du « plus », tant mieux, mais il y a un minimum et le rôle des encadrants est de s’assurer que chaque passager a bien le droit à ce minimum.

Il y a encore du travail, mais les signatures de service c’est évidemment de l’humain, mais c’est aussi des processus plus carrés.

TravelGuys vous souhaite de joyeuses fêtes…

En attendant 2018, TravelGuys vous souhaite de joyeuses fêtes, en espérant que le père Noël vous amènera de beaux voyages en Business, de jolis statuts, de beaux hôtels et des expériences magnifiques. Et s’il vous oublie, TravelGuys vous aidera à les obtenir par vous-mêmes… N’est-ce finalement pas plus valorisant, que d’attendre les miracles ?

Olivier Delestre-Levai
Olivier Delestre-Levai
Olivier est sur la blogosphère du transport aérien depuis 2010. D'abord contributeur majeur du forum FlyerTalk, il crée en juillet 2012 le site FlyerPlan, et rédige des articles à l'écho majeur chez les spécialistes de l'aérien. Il co-dirige désormais le blog TravelGuys avec Bertrand, en se focalisant sur l'expérience de voyage et les programmes de fidélité. Et bien sûr, tous vos articles préférés de FlyerPlan sont désormais sur TravelGuys !
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