Comment American, United et Delta désinforment sur les compagnies du Golfe ?

Depuis quelques mois, l’on entend les compagnies américaines, pourtant concurrentes sur leur propre marché, parler d’une même voix pour dénoncer la concurrence déloyales des trois majors du Golfe, à savoir Emirates, Qatar Airways et Etihad.
Néanmoins, à contrario des compagnies européennes qui disposent de peu d’armes face à ces nouveaux concurrents qui ne se battent pas uniquement sur les coûts, les compagnies américaines ont de nombreuses armes à dégainer… Etat des lieux et décryptage des arguments des uns et des autres.

Une conquête du marché américain assez récente récente

Les 3 majors du golfe, récemment nommées ME3, ont fait leur arrivée aux Etats-Unis plutôt récemment, se focalisant un premier temps sur l’Europe, et le manque de compétitivité structurelle des compagnies du vieux continent.

Si cette arrivée est récente, elle est plutôt massive, d’où la réaction médiatique plutôt violente des compagnes américaines.
marketshare
Cette courbe montre plusieurs choses : d’une part, la montée en puissance flagrante des 3 compagnies du Golfe dans les dix dernières années et d’autre part, l’écrasante dominance d’Emirates parmi au sein du groupe des ME3.

Une montée en puissance très rapide, qui met au tapis la concurrence américaine

Aux États-Unis, la priorité a été donnée, dans les premiers temps, aux portes d’entrée principales des Etats-Unis : New-York, Los Angeles, San Francisco, Emirates en tête. Les fréquences ont progressivement augmenté au départ de ces villes pour installer la marque et créer les habitudes de voyage.
La présence d’Emirates a donc cru progressivement depuis le début 2004 dans ces trois villes américaines.
Les autres majors du Golfe, plus timides, ont attendu l’installation de leur concurrente pour se déployer dans ces mêmes villes, Qatar Airways d’abord et Etihad ensuite, plus lentement et avec des résultats en demi-teinte au départ de par le manque de fréquence des vols.
La conquête des autres villes américaines est plus récente : les ME3 ne s’y aventurent qu’avec de plus petits modules et des fréquences réduites. En témoignent Atlanta, Boston, Chicago, Houston, Miami, Orlando, Philadelphie, Seattle ou encore Washington.

Trouver des ressorts de profitabilité malgré des vols longs et coûteux

Les vols entre les Etats-Unis et les Emirats sont longs : près de 6000 miles de Dubaï à New-York, 7250 miles de Dubaï à Los Angeles. Et plus un vol est long, et plus il coûte cher : équipage doublé, kérosène, prestations à bord. Cependant, les ME3 se doivent de contenir leur prix pour être toujours plus compétitives que les majors européennes ou américaines et réduisent donc leurs marges pour rester dans le marché.
Aussi, la progression du trafic s’accentue depuis 2013 non plus uniquement par l’ouverture de nouvelles villes, mais de par l’augmentation des fréquences et de la taille des modules engagés sur les différentes routes, en témoigne le graphique suivant :
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Et vu que ces mêmes compagnies continuent d’ouvrir de nouvelles destinations, la tendance n’est pas prête à s’inverser.

La dominance d’Emirates attaquée par les compagnies montantes du Golfe : Qatar Airways et Etihad

Le graphique initial, même s’il présente une situation très favorable pour Emirates, montre également les croupières que sont en train de se tailler les deux autres majors du Golfe, Qatar Airways et Etihad.

Si la flotte d’Emirates semble adaptée aux destinations blockbuster comme JFK, LAX ou SFO, celle des deux concurrents semble, elle, bien correspondre aux destinations américaines secondaires. D’ailleurs, Qatar Airways montre qu’elle est présente seule dans certaines villes, comme Atlanta ou Philadelphie.

Mais surtout, ces deux compagnies ont des atouts qui leurs sont propres :

  • Qatar Airways est membre de l’alliance Oneworld. Avantage indéniable pour toucher la clientèle d’American Airlines, elle aussi membre de cette alliance et dont les membres du programme de fidélité peuvent bénéficier de leurs avantages en utilisant Qatar. Et c’est un succès.
  • https://www.youtube.com/watch?v=zBtGSa_xOS8

  • Etihad mise sur des produits d’exception en classe avant, tels le Business Studio, le First Apartment ou la désormais célèbre Residence. Mais Etihad pourrait, dans les mois qui viennent, bénéficier d’un atout similaire à celui de Qatar Airways : intégrer une grande alliance, en l’occurrence SkyTeam.

La concurrence déloyale, une vaste fumisterie des majors américaines

La progression indéniable des trois majors du Golfe fait désormais peur aux compagnies américaines. En témoignent les récents communiqués effectués par celles-ci, qui trouvent un bouc émissaire facile dans ces compagnies aux méthodes qui leur échappent.
Les arguments avancés sont assez triviaux : le coût du travail moins élevé et la règlementation ad hoc qui est plus souple et le soutien de l’Etat démesuré.
En toute honnêteté, ces arguments me laissent pantois. J’aurais évoqué exactement la même chose si je m’étais demandé pourquoi les compagnies américaines sont plus compétitives que les compagnies européennes, bref, l’hôpital qui se moque de la charité !

Le coût du travail, un argument invalide de par la nature du work market américain

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L’argument coût du travail ne me semble pas être pertinent. En effet, même si les charges sociales sont très réduites aux Emirats Arabes Unis, les coûts salariaux américains restent très faibles, surtout depuis la banqueroute des grandes compagnies américaines, qui ont renégocié à la baisse le salaire de tous les navigants. A l’aéroport, aussi, regardez bien la myriade d’employés qui s’affairent autour des avions et comparez-là à l’équipe en charge des mêmes activités en Europe. Ils sont, aux USA, jusqu’à deux fois plus nombreux, faute au matériel vieillissant dans les aéroports américains qui pousse à l’emploi de main d’oeuvre abondante et trop peu qualifiée.
Si l’argument coût du travail est valide en valeur absolue, il pourrait largement être contré par une modernisation des infrastructures et procédures de travail.

Les subventions, gabégie des compagnies américaines

L’argument le plus fallacieux est quand même celui des subventions et plus globalement du soutien de l’Etat. Car les compagnies américaines, depuis le début du 20ème siècle, ont reçu des centaines de milliards de subventions de la part de l’Etat Fédéral américain.
Soyons francs : tous les états subventionnent massivement les compagnies de leur pays, qui portent fièrement leurs couleurs respectives à travers le monde.
Mais les Etats-Unis bénéficient d’une autre force : le patriotisme industriel et commercial. En effet, la plupart des entreprises américaines dans lesquelles j’ai travaillé imposent à leurs collaborateurs de voyager sur des compagnies US : ceci est inscrit dans la politique voyages et le non-respect de cela peut entraîner des sanctions allant jusqu’au licenciement.
Aussi, jusqu’au début du 21ème siècle, les compagnies américaines rechignaient à se fournir chez Airbus, American Airlines en tête. Depuis les choses ont changé, et la concurrence a déboulé.
Enfin, et c’est ce qui permet de faire, sans aucun doute, le plus de profits, les compagnies américaines ont utilisé à loisir le Chapter Eleven, qui permet de déclarer Banqueroute, d’effacer ainsi ses dettes, la validité des contrats de travail, et de recommencer à zéro. C’est le reset de la console, ou le « Joker Connerie ». Un peu facile, et la ficelle s’est notamment vu avec American Airlines récemment : Elle se déclare en Banqueroute le 29 novembre 2011, annoncait sa fusion avec US Airways en 2012 et faisait les plus hauts bénéfices de son histoire en 2014. Pathétique.

Conclusion

En conclusion, si les compagnies du Golfe possèdent des avantages indéniables sur leurs concurrentes américaines, ces avantages ne sont pas déloyaux : les compagnies du Golfe savent juste mieux les utiliser.
Et si des compagnies sont bien attaquées de manière déloyale, ce sont les compagnies européennes, qui, elles, ne peuvent pas autant lutter, les autorités de l’UE veillant au respect strict de la concurrence entre acteurs.
La grande question à se poser étant toujours : Alors, info ou intox ?

Olivier Delestre-Levai
Olivier Delestre-Levai
Olivier est sur la blogosphère du transport aérien depuis 2010. D'abord contributeur majeur du forum FlyerTalk, il crée en juillet 2012 le site FlyerPlan, et rédige des articles à l'écho majeur chez les spécialistes de l'aérien. Il co-dirige désormais le blog TravelGuys avec Bertrand, en se focalisant sur l'expérience de voyage et les programmes de fidélité. Et bien sûr, tous vos articles préférés de FlyerPlan sont désormais sur TravelGuys !
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